Les bourreaux et les héros

13/05/2021 08:18

Penser à ce que fut le comportement de la France en Algérie, de la conquête (Que personnellement je préfère appeler l’invasion) jusqu’à l’indépendance, est quelque-chose qui est toujours douloureux pour moi. Mon grand-père, Auguste BOURGÈS, que j’admire profondément, partit seul à 16 ans à Alger pour aller tenter sa chance là-bas puisque son avenir était bouché en France et toute sa vie ultérieure se passa en Algérie, puis à Tanger où il servit constamment l’Etat en gravissant tous les échelons jusqu’aux plus hauts niveaux de la police. Son beau-père, Ferdinand PINARD, horloger-bijoutier à Besançon, était parti pour l’Algérie quelques années plus tôt et il avait créé une petite bijouterie au bas de la casbah d’Alger. Papa naquit à Alger mais toute sa vie professionnelle d’officier se déroula en France. Quant à mon autre grand-père, Toussaint ALIZARD, capitaine en 1914, il tomba au combat sur le front belge en décembre 1914.

Tout en étant d’un tempérament et de convictions pacifistes, j’admire ces hommes auxquels je songe souvent en sachant qu’ils eurent, personnellement, des comportements irréprochables sur le plan moral.

Je suis d’autant plus satisfait de voir un responsable politique marseillais de gauche sauter enfin le pas qui consiste à effacer le nom de BUGEAUD sur une école de la République en y substituant le nom d’un Algérien de 22 ans, engagé volontaire, tombé les armes à la main lors des combats qui chassèrent les Nazis de « La Bonne Mère » en août 1944.

Il a parfaitement résumé ce dont il s’agit en disant : « Une école peut porter. le nom d’un héros, pas d’un bourreau ». Et c’est donc le nom d’Ahmed LITIM qui remplacera celui de Thomas BUGEAUD. Mais qu’avait donc fait d’horrible ce BUGEAUD, dont, enfant, j’avais appris la célèbre chanson de sa casquette dont on se demandait qui l’avait vue ?

Oh, c’est hélas tout simple. En juin 1845 son armée sema la mort sur son chemin, lors de la poursuite de l’émir AB DEL KADER, en commettant des massacres de civils qui sont autant d’Oradour-sur-Glane par l’enfumage des habitants de plusieurs villages qui s’étaient réfugiés dans des grottes. Il ne s’agissait pas de « bavure » de subordonnés mais bien de l’exécution d’ordres écrits par Thomas BUGEAUD où il avait explicitement ordonné « Enfumez-les à outrance comme des renards ». Ces faits sont connus de très longue date et on ne découvre donc pas ça aujourd’hui. Les méfaits de cet homme lui valurent même des « remontrances » de la Chambre des Pairs. Il est cependant enterré aux Invalides et on osa donner son nom à des rues et même à des écoles.

Mon respect de ceux qui m’ont précédé et, plus largement, de nos institutions militaires ne pâtira pas de ce dégommage symbolique mais tardif … bien au contraire. L’Armée ne doit pas être salie par le souvenir d’hommes qui, au XX^e siècle auraient été poursuivis pour crime de guerre, de même que la pratique de la torture et de l’assassinat de prisonniers durant la guerre d’Algérie fait partie des hontes qui poursuivront éternellement, par exemple, un certain lieutenant Jean-Marie LE PEN (Qui fut assez maladroit pour oublier le poignard avec lequel il tua un homme après l’avoir torturé devant ses enfants).

Je suis fier que ce soit un homme de gauche qui ait pris la décision d’honorer un modeste héros, Ahmed LITIM, en lieu et place d’un bourreau, fut-il Maréchal de France.

On nous parle beaucoup de valeurs nationales depuis quelques temps … il est bon que la gauche retrouve le chemin de ses valeurs … et qu’elle ne s’arrête surtout pas en route en restant fidèle à Victor HUGO qui, membre de la Chambre des Pairs, avait fait partie de ceux qui avaient réagi contre ces actes intolérables.

Jean-Paul BOURGÈS 12 mai 2021